Par Alain BODOY
On entend beaucoup parler dans les discussions entre apiculteurs de l’abeille VSH, et des espoirs qu’elle fait naître. Serait-elle la solution ultime au problème « varroa » ? Reste que pour nombre d’entre nous, l’abeille VSH demeure un concept quelque peu obscur. Explications et perspectives raisonnables en fonction des découvertes des chercheurs.
T out apiculteur apprend et observe que les abeilles nettoient les alvéoles qui viennent d’être libérées par la naissance d’une ouvrière ou d’un mâle. Ce sont les plus jeunes abeilles qui d’ordinaire effectuent ce nettoyage. En dehors de ce «ménage» habituel, les abeilles sont également capables d’intervenir avant la sortie des nymphes et sur les larves, en cas de maladie du couvain ouvert ou fermé. Elles peuvent extraire les larves ou les nymphes mortes ou malades, et remettre en état les alvéoles. C’est ce comportement qui est dit hygiénique, et qui est recherché par les apiculteurs, car il est favorable à une bonne santé de la colonie.
Le caractère hygiénique ou HYG s’évalue en calculant le pourcentage d’alvéoles nettoyées par les abeilles au bout de 24 heures
Mesurer le comportement hygiénique
Différents tests peuvent mesurer ce caractère comportemental. Le principe consiste à tuer un certain nombre de larves sur une surface donnée, afin d’observer le comportement des abeilles vis-à-vis des larves mortes. Différentes méthodes sont utilisées. On peut ainsi procéder à un picotement en introduisant des aiguilles dans le couvain, ou découper une surface de couvain que l’on congèle et que l’on remet à sa place dans le cadre. On peut également congeler sur le cadre, à l’azote liquide, une superficie de couvain, ou brûler au chalumeau une portion de couvain. Le caractère hygiénique ou HYG a été décrit par Maria Spivak en 1993. Il est alors quantifié en calculant le pourcentage d’alvéoles nettoyées par les abeilles au bout de 24 heures.!
L’abeille VSH, spécialisée dans le varroa
Le même auteur, ainsi que d’autres auteurs américains (Harbo et Harrris) se sont aperçu que ces abeilles HYG étaient également capables de nettoyer des alvéoles contenant des nymphes infestées par le varroa. Ces abeilles, dénommées d’abord SMR (pour Suppressed Mite Reproduction), puis VSH (Varroa Sensitive Hygienique), se sont révélées capables de détecter le varroa présent dans le couvain fermé. Ainsi, au cours de différentes expériences, Maria Spivak a établi que :
- Les abeilles VSH enlèvent plus de nymphes infectées que les abeilles simplement HYG.
- Les abeilles VSH enlèvent préférentiellement les nymphes dans lesquelles les femelles varroa se reproduisent.
- Le couvain d’abeille VSH élève moins de varroa que le couvain HYG
Ces résultats ont été largement confirmés par différents auteurs. Selon Harbo et Harris notamment, les abeilles VSH identifient à travers l’opercule le fait qu’une femelle varroa a démarré sa ponte. L’enlèvement des nymphes par les abeilles est alors effectué de 4 à 7 jours après l’operculation. Ci-contre une illustration de ce phénomène, élaborée par l’ITSAP.
Une abeille VSH est celle qui peut détecter, dans une alvéole de couvain fermé, la présence de varroa en train de se reproduire, et qui peut extraire la nymphe parasitée.
On voit tout l’intérêt de ce comportement, qui ouvre la voie à la recherche de colonies tolérantes au varroa, basée sur une sélection massale, ce qui constitue une solution durable, sans traitements agressifs, au problème posé par ce parasite.
La compréhension du mécanisme VSH a notamment progressé avec les travaux de l’Inra en Avignon. Yves Leconte et son équipe ont identifié que le comportement VSH reposait particulièrement sur une meilleure discrimination des odeurs émises par le couvain. Des phéromones particulières, émises par les nymphes, ont ainsi pu être caractérisées. On a également pu mettre en évidence la présence de molécules émises par le couvain, auxquelles les abeilles VSH sont sensibles, comme par exemple l’octopamine ou le phenethyl acétate
Un comportement très efficace
Le comportement VSH peut être très efficace. Si le couvain infesté d’une colonie non-VSH est transféré dans une colonie VSH, la plupart des Varroas (> 90%) sont détectés et supprimés. Si la reine d’une colonie non-VSH à la tête d’une colonie possédant un nombre d’acariens élevé est remplacée par une reine VSH, le nombre d’acariens commence à descendre dès qu’il y a assez de filles de la nouvelle reine présentes dans la colonie.
Source aristabeeresearch.org
Les perspectives de la sélection
La génétique nous offre des moyens particulièrement efficaces de sélection. Le comportement VSH, initialement observé en Amérique, l’a été également sur des souches d‘abeilles purement européennes, ce qui ouvre la voie à des programmes de recherche incluant les efforts de sélection déjà entrepris.
Suite aux travaux d’Yves Leconte et son équipe sur la reconnaissance des odeurs émises par le couvain, on peut envisager de sélectionner les abeilles sur un tel critère (dit phénotypique, c’est à dire qui s’exprime de façon visible ou mesurable). Cette méthode de sélection, basée sur les performances propres de l’individu, est appelée sélection massale. Ce sont en fait les colonies qui sont évaluées sur la base de leurs performances.
Une autre possibilité prometteuse de sélection au niveau des individus consiste à rechercher des marqueurs génétiques corrélés à ce comportement VSH, c’est-à-dire cette fois des gènes ou morceaux de chromosomes qui sont liés au caractère VSH. 99 gènes, candidats pour ce type de sélection sur la résistance à l’échelle des individus, ont été identifiés par Leconte et al (2003).
Différents groupes de recherches travaillent sur ces pistes, aux états-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas. En France, la détection de marqueurs génétiques associés à une résistance à varroa fait l’objet du projet de recherche BeeStrong, où l’ITSAP-Institut de l’Abeille et l’INRA sont partenaires de l’entreprise de sélection animale Evolution et de sa filiale Labogena. L’objectif pour Evolution sera, à terme, de développer des solutions techniques pour améliorer la sélection contre varroa, soit en produisant des reproducteurs résistants à varroa, soit par des prestations de service de génotypage de colonies.
Des programmes de sélection regroupant plusieurs pays sont a l’œuvre, autour des principaux laboratoires apicoles, tels que l’université de Bâton Rouge (USA), la Nouvelle-Zelande (programme BettaBee), divers laboratoires européens, ainsi que l’INRA d’Avignon, l’ITSAP avec le projet MOSAR, et l’ANSES. Le programme ARISTA BEE, regroupant acteurs européens et américains, est l’un des plus avancés
Le futur de l’abeille VSH
Ces programmes de sélection assistée par marqueurs génétiques devraient permettre de produire des souches d’abeilles tolérantes, sinon résistantes. Ce ne sera pas la fin du varroa, mais la maîtrise du problème qu’il pose à notre abeille Apis mellifera. Ainsi l’abeille Apis cerana vit en présence du varroa, car elle a développé des stratégies de lutte depuis longtemps. La sélection permet d’espérer un tel statut pour notre abeille, en un temps bien plus court.
En pratique, comment pourrons-nous obtenir des abeilles tolérantes au varroa? La sélection massale peut être conduite par des professionnels, sur des temps assez longs, mais elle n’est pas sans inconvénients, car on peut sélectionner involontairement d’autres caractères indésirables comme l’agressivité.
La sélection assistée par marqueurs passe par les scientifiques et les centres techniques. La transmission vers les apiculteurs se fera via des sélectionneurs capables de fournir les reines issues de ces programmes de sélection. La maîtrise de l’insémination artificielle, qui est un des objectifs de votre syndicat avec le laboratoire des abeilles, prend tout son sens dans cette optique-là.